« Chères collaboratrices, comment échapper au féminisme néolibéral », de Sandrine Holin

Le premier livre à l’honneur du Book Club de l’Alternative est l’essai de Sandrine Holin, « Chères collaboratrices », paru en mars 2023 aux éditions La Découverte. Le récit de l’autrice résonne avec le projet de ce média dont l’objectif est de porter un regard différent et critique sur les initiatives actuellement en place dans les organisations privées et publiques pour prétendre à l’égalité femme/homme.

Après une expérience professionnelle de 8 ans dans un groupe du CAC40, puis dans la finance, et un passage rapide dans une start-up de formation sur l’égalité en entreprise, Sandrine Holin entame un projet de recherche qui a nourri ce premier livre. L’autrice procède dans ce récit à la déconstruction du « féminisme néolibéral » dont elle situe l’apparition dans les années 2010 et après le discours de Sheryl Sandberg, ex numéro deux de Facebook et autrice du livre Lean in qui explique aux femmes comment reprendre le pouvoir sur leur carrière et leur vie. Sandrine Holin s’attaque aux injonctions du fameux «You can have it all » défendu par l’ancienne patronne de Facebook qui incite les femmes à apprendre à mieux s’organiser pour être capables de tout gérer et surtout de tout réussir. 

Pour aider ces femmes qui veulent tout réussir, les entreprises ont donc proposé une panoplie d’actions : lancement de réseaux féminins, formations au leadership, à la gestion de l’équilibre de la vie pro/perso dont l’autrice a elle-même bénéficié. Elle déclare avoir vu d’un bon œil toutes ces initiatives avant de se rendre compte, qu’en plus de ne pas être inclusives (puisque destinées uniquement aux femmes ayant un potentiel pour l’entreprise) elles ne permettaient pas de s’attaquer aux racines du problème de l’inégalité. L’idée majeure du livre est d’illustrer comment le capitalisme s’est saisi du féminisme pour le rendre profitable. Elle évoque les travaux de recherche menés par les cabinets de stratégie qui se sont employés à réaliser des études dont le but est de démontrer que l’égalité des genres était profitable aux entreprises et qu’elles doivent s’en saisir pour assurer une meilleure croissance économique. Elle illustre aussi son propos par un exemple simple et saisissant, celui du succès de la commercialisation d’objets incitant les femmes à prendre le pouvoir, dont l’exemple le plus emblématique est celui du t-shirt Dior portant le message « We should all be feminists » vendu 600€. L’autrice emprunte le concept de « marchandise émotionnelle » à la sociologue Eva Illouz pour expliquer ce que « l’empowerment des femmes » était devenu à l’aune du système capitaliste.

Comment le capitalisme s’est saisi du féminisme pour le rendre profitable.

Sandrine Holin dénonce également l’usage de la notion de « stéréotypes de genre » fondée sur une approche scientifique, et étoffée par le développement des sciences cognitives et comportementales et la psychologie sociale, pour justifier les inégalités. Selon elle, le fait d’avoir recours à cette notion permettrait de trouver de bonnes excuses aux inégalités alors qu’en réalité le sujet est éminemment politique et qu’il serait plus juste de s’attaquer à la construction des images que l’on se fait de la répartition des rôles dans la société au lieu d’énoncer simplement que notre cerveau est ainsi fait et qu’il nous inciterait à prendre les chemins les plus courts pour prendre des décisions comme celle de choisir un homme pour un poste de direction par la représentation que l’on se fait de sa capacité à réussir…

Ce premier essai de Sandrine Holin est un excellent travail d’analyse et de déconstruction s’appuyant une expérience vécue en entreprise et des recherches solides. Forte de son bagage en finance, elle s’appuie sur des concepts économiques pour étayer ses arguments et faciliter la compréhension par des exemples concrets et simples à appréhender. 

La limite de son exercice se situe néanmoins dans les pistes de solutions proposées en dernière partie. Si le fait de continuer à déconstruire, de sortir des cadres de pensées habituels, de faire l’éloge de la lenteur pour contrecarrer le rythme effréné imposé par le capitalisme, de résister ensemble et de créer des communautés pour se soutenir et créer un nouveau modèle plus juste me parait être une bonne direction, je n’y ai pas trouvé des solutions opérationnelles concrètes pour les personnes qui n’ont pas les moyens de sortir du modèle et le luxe de ralentir. 

Je vous recommande vivement la lecture de cet essai pour poursuivre ensemble le travail de réflexion entrepris par Sandrine Holin sur les pistes de solutions que l’on pourrait imaginer pour favoriser l’inclusion dans le milieu professionnel.