Le concept de « role model » ou modèle de rôle en français a toujours existé. On le retrouve dans les figures de mythologies anciennes, dans les récits religieux ou encore à travers les légendes historiques. L’importance et l’influence de ces modèles évoluent avec les changements de la société. Dans cet article, nous nous intéresserons aux rôles modèles dans les entreprises à l’aune de l’importance de la représentation de la mixité femme/homme dans la gouvernance.

Posons le cadre théorique
Bien qu’elle ait toujours existé, la notion de « rôle modèle » en tant que sujet d’étude a été développée et popularisée à partir du 20e siècle. Le sociologue américain Robert K. Merton a jeté les premières bases pour comprendre comment les modèles de rôle fonctionnent dans la société et influencent le comportement des individus à travers son étude de la théorie de la structure sociale. Du côté de la psychologie, le psychologue canadien Albert Bandura a analysé le rôle des modèles dans le processus d’apprentissage et de développement de la personnalité en affirmant que les individus apprennent en observant et en imitant le comportement des autres, en particulier ceux qu’ils considèrent comme des modèles. En France, on peut citer le sociologue Emile Durkheim pour ses recherches sur les figures d’autorité et les exemples sociaux dans la formation des normes et des valeurs au sein d’une société.
Vous l’aurez compris, ce concept ne date pas d’hier mais le recours à son utilisation s’est démocratisé ces 20 dernières années, notamment pour désigner le rôle inspirant de femmes (trop rarement) présentes au sein des comités de direction, offrant ainsi à d’autres femmes la capacité à se projeter dans ces fonctions et à dépasser le fameux « plafond de verre ».
Le persona féminin représenté dans la direction
Dans les organisations traditionnelles (par opposition aux start-up), le profil majoritairement observé de rôle modèle féminin est celui d’une femme quadragénaire ou plus faisant partie d’une instance de direction. Cette référence est très visible et de plus en plus exposée depuis que les entreprises doivent rendre des comptes sur la présence des femmes dans leur comité de direction. Le parcours professionnel de ces femmes s’est construit à une époque où l’on ne parlait pas encore d’inclusion, de parité et de mixité. Elles ont dû batailler ardemment pour atteindre ces positions. Pour certaines d’entre elles, il a fallu adopter des codes masculins, et parfois renier leur identité pour y parvenir coûte que coûte. Jusque-là, on pourrait se dire, mais où est le problème ? Pourquoi ces personnes travailleuses et acharnées ne méritent-elles pas d’être poussées par la direction de l’entreprise à se distinguer comme des rôles modèles ? Eh bien, parce que, comme décrit plus haut, un rôle modèle invite à l’imitation de son comportement, ce qui revient à dire dans ce cas, à imiter le comportement issu de normes viriles et à effacer son identité de femme. Autrement dit, choisir un rôle modèle qui reproduit les codes dominants n’est pas un acte inclusif. Il ne laisse pas la place à l’expression d’autres identités avec des codes différents. Les candidats fraichement diplômés qui rejoignent les grandes entreprises avec l’espoir de réaliser une carrière brillante se détournent des modèles qu’on leur propose car ils ne leur ressemblent tout simplement pas. Ces modèles ne sont pas le reflet de l’évolution de la société telle qu’ils s’attendent à la trouver dans ces organisations. Les propos de Céline Alix dans son livre Merci mais non Merci1 illustrent parfaitement ce rejet pour cause de non identification à ces modèles « Mise en avant par les entreprise (…) dans un désir de motiver et de rassurer les autres employées, la superwoman constituait certes un exemple de celle qui y était arrivée et contribuait à la féminisation de l’organigramme, mais paraissait totalement inaccessible à d’autres femmes plus jeunes (…) ou dépourvues des mêmes qualités/ressources d’exception ».
Le persona masculin qui inspire les jeunes générations
Pour cette partie, je vais prendre un exemple concret issu de mon parcours : lors de l’une de mes expériences professionnelles dans le conseil, j’ai eu à encadrer un jeune consultant diplômé d’une grande école d’ingénieur pour sa première mission dans le cabinet. Lors de nos pauses café, nos discussions nous ont vite menées sur le terrain de l’inclusion des femmes dans l’entreprise, sujet pour lequel il manifestait un intérêt grandissant et m’interrogeait beaucoup en tant que femme ouvertement engagée sur la question. Lorsque cette première mission s’est terminée, il a passé plus de deux ans sur un autre projet avec un manager connu pour incarner des codes très virils et de domination sur ses collaborateurs. Je retrouve mon jeune consultant à l’occasion d’un évènement d’entreprise et me rends compte que son discours avait significativement évolué. Ce dernier ayant compris, grâce à son manager, comment il fallait s’y prendre pour gravir rapidement les échelons dans un environnement masculin : marquer son territoire, ne partager aucune opportunité avec des collègues ne faisant pas partie de son équipe, faire beaucoup de chiffre pour écraser les autres plus facilement, etc. Il a conclu notre échange amical en affirmant que si j’avais réussi en tant que femme, c’est par ce que j’étais « un vrai bonhomme » … Je conclurai cette partie avec les mots justes de Bell Hooks dans son livre La volonté de changer (2004), « Une fois qu’ils ont absorbé passivement l’idéologie sexiste, les hommes se mettent à interpréter à tort ce comportement toxique de manière positive ».
Prendre conscience de la force de reproduction des comportements des rôles modèles sur ses collaborateurs doit inviter chaque entreprise à réfléchir à ce qu’elle veut incarner à travers ses choix.
- Céline Alix, Merci mais non merci, comment les femmes redessinent la réussite sociale, Payot & Rivages, 2021 ↩︎
