S’émanciper à deux, le couple, le travail et l’égalité, de Antoine de Gabrielli

Le troisième livre que nous vous proposons de découvrir dans le Book club de l’Alternative est un premier essai de l’auteur Antoine de Gabrielli, S’émanciper à deux, le couple, le travail et l’égalité, paru en 2024 aux Editions du Rocher.

Passionné par les questions de sens au travail et d’égalité professionnelle, Antoine de Gabrielli fonde Companieros, société spécialisée dans la formation aux questions d’égalité et d’inclusion professionnelles, au début des années 2000. Ce livre est le fruit de ses 20 années d’expérience. Il propose une approche sociétale de l’égalité en l’abordant du point de vue des couples, la « plus petite cellule sociale », et non des individus.

L’auteur commence par retracer l’histoire des couples et du travail en Occident pour expliquer pourquoi, aujourd’hui, au sein des couples bi-actifs, il peut exister de fortes tensions entre conjoints sur les questions de carrière et de temps privés qui nuisent à l’épanouissement de chacun, et peuvent avoir des conséquences plus radicales. Il montre que, jusque dans les années 1850, la plupart des couples vivaient et travaillaient ensemble, au sein de leur foyer, chaque conjoint réalisant des tâches fortement genrées. Puis, avec la révolution industrielle, le travail s’est individualisé et « […] le travail rémunéré à l’extérieur du cadre familial [est devenu] progressivement la norme dominante […] ». S’il a d’abord concerné les hommes, l’évolution de la société a ensuite entrainé l’arrivée massive des femmes sur le marché du travail, celles des classes populaires dans un premier temps, puis à partir des années 1960/70, celles des classes aisées. Le travail est alors devenu synonyme d’émancipation et d’épanouissement pour les femmes.

Si l’auteur analyse cette évolution comme un réel progrès, il fait le constat que l’absence de questionnement de la société quant à la gestion des tâches domestiques, historiquement dévolues aux femmes, les rend invisibles car non rémunérées. Pourtant, les femmes continuent à les assumer en plus de leur travail professionnel. Avec l’arrivée des enfants, cette lourde charge pèse sur le temps professionnel des mères qui est d’autant plus impacté que le modèle de travail des femmes a été calqué sur celui des hommes. Il souligne un double enjeu systémique qui éclaire sur l’origine de ce qu’il appelle le « rendez-vous manqué de l’égalité ».

Selon lui, si l’égalité professionnelle a peu évolué, c’est qu’elle a été pensée uniquement à travers la volonté de briser le plafond de verre et de changer les femmes. Cependant, elle ne peut être véritablement efficace que si elle s’accompagne d’une volonté réelle de casser le plancher de verre qui, lui, est majoritairement associé aux hommes occupant des postes à responsabilités et qui favorise la primauté du travail au détriment de la vie personnelle et familiale. Pour Antoine de Gabrielli, la dynamique des couples repose sur un « système de vases communicants » et tant que le plancher de verre persistera, il aura pour conséquence le plafond de verre. Le temps professionnel d’un conjoint étant contraint par celui de l’autre, car les charges familiales sont incompressibles.

Pour venir à bout de ces enjeux systémiques, l’auteur invite à « […] changer le travail. ».  D’abord, par la suppression de ce qu’il nomme « pratiques déclusives », telles que la valorisation des horaires tardifs ou les mobilités géographiques inhérentes au plan de carrière. Ensuite, par l’innovation, en refondant le droit du travail de manière à prendre en compte les couples et plus seulement les individus. Il propose, par exemple, de repenser le forfait cadre de 218 jours qui conduit à de longues journées ou encore de rémunérer à taux plein le 4/5ème familial.

Pour l’auteur, il faut « [r]emettre le couple au milieu du village » et considérer le travail dans sa globalité et non plus à travers le prisme réducteur du travail rémunéré, car le travail gratuit des couples est nécessaire au bon fonctionnement de la société. Il appelle l’Etat à prendre des mesures concrètes pour faciliter la vie des couples et propose également la mise en place d’un « Service Universel Permanent » qui permettrait à chacun d’aller et venir de manière fluide entre son travail et un service social obligatoire et rémunéré qui, selon la période la vie, pourrait être ses responsabilités familiales.

Ce livre nous invite à nous questionner sur le sens de l’égalité et de l’émancipation face à une économie libérale forte et mondialisée, et au regard des enjeux écologiques. Il pointe la perte de sens du travail, son fonctionnement encore trop rigide et stéréotypé, associé à une recherche permanente de productivité, qui ne convient plus aux hommes et toujours pas aux femmes. L’auteur compte sur les aspirations des nouvelles générations pour faire bouger les lignes et appelle les couples à construire un « projet de couple » qui intègre les dimensions professionnelles, sociales et familiales pour mieux « s’émanciper ensemble ».

Nous vous souhaitons une bonne lecture !

par Nathalie Crouzet