Le self-branding, ou la création d’une marque personnelle, consiste à se vendre comme un produit sur le marché, une pratique encouragée dans l’entrepreneuriat où la visibilité est clé. Les réseaux sociaux amplifient cette nécessité pour les femmes, qu’elles soient entrepreneuses ou salariées, en leur imposant de cultiver une image qui respecte souvent des normes esthétiques rigides. Certains spécialistes des algorithmes de Linkedin encouragent l’usage du selfie pour générer plus de vues, de likes et de revenues « Poster des selfies afin d’atteindre 3x plus d’engagement et 2,5x plus de portée »[1]

Pour de nombreuses femmes, le self-branding représente une opportunité de se réapproprier leur image, de se différencier et de construire leur carrière selon leurs propres termes. Il peut aussi être perçu comme une démarche d’autonomisation : maîtriser son image permettrait de créer ses propres opportunités. Cependant, cette pratique impose souvent une pression implicite pour répondre à des idéaux féminins stéréotypés.
Une façade de liberté qui renforce les stéréotypes
Bien qu’il soit vendu comme un outil d’émancipation, le self-branding s’accompagne de normes invisibles mais rigoureuses. Les femmes sont poussées à incarner une version idéalisée d’elles-mêmes : souriantes, performantes, équilibrant parfaitement vie professionnelle et personnelle. Cette norme étouffante les pousse à maintenir une façade constante, ce qui entraîne un stress et un épuisement psychologique profond.
En mettant l’accent sur le marketing de soi, les femmes risquent de renforcer les stéréotypes de genre qu’elles cherchent à déconstruire. La focalisation sur l’apparence, le charisme et la narration personnelle peut reléguer au second plan les compétences professionnelles, réduisant la perception de leur valeur à leur image publique. Le self-branding, présenté comme un levier d’émancipation, peut devenir une forme de soumission à des attentes de performance constante dictées par le marché et les réseaux sociaux.
Le piège individualiste du self-branding
Plutôt que de promouvoir une évolution structurelle vers l’égalité, le self-branding s’inscrit dans une dynamique individualiste. Il encourage les femmes à utiliser leur image pour s’adapter à des normes de beauté archaïques, leur interdisant des affects considérés comme « faibles » (inquiétude, colère, plainte). Cette stratégie commerciale des valeurs féministes n’est pas tournée vers un véritable changement sociétal, mais vers un succès personnel, souvent économique.
Dans leur ouvrage Confidence Culture[2], les chercheuses Rosalind Gill et Shani Orgad dénoncent cette « culture de la confiance »[3] qui fait porter aux femmes la responsabilité de leur succès ou de leur échec. D’après elles, cette idée selon laquelle le manque de confiance est une cause personnelle et non structurelle empêche de s’attaquer aux véritables inégalités de genre.
En effet, en centrant leurs efforts sur la présentation d’une image lisse et parfaite, les femmes reproduisent inconsciemment les codes du patriarcat. Le self-branding détourne leur énergie vers une quête de réussite individuelle, tout en les éloignant des débats politiques et structurels essentiels pour faire avancer l’égalité des genres.
L’importance du collectif dans la lutte pour l’égalité
Le self-branding en tant qu’outil d’autonomisation individuelle porte en lui une contradiction fondamentale. Si certaines femmes y trouvent un moyen de s’affirmer, il les enferme aussi dans des normes esthétiques et comportementales oppressives. La véritable émancipation ne pourra être atteinte que par une action collective. C’est ensemble, en se soutenant mutuellement et en revendiquant des changements structurels, que les femmes pourront s’affranchir des carcans imposés par la société et avancer vers une égalité réelle et durable.
[1] Blog du modérateur : « Comment fonctionne l’algorithme LinkedIn : critères, horaires, portée des formats »
[2] Gill, R. and Orgad, S. (2022). Confidence Culture. London: Duke Press
[3] Gill, Rosalind and Orgad, Shani (2017) Confidence culture and the remaking of feminism.
