Les Grandes Oubliées – Pourquoi l’Histoire a effacé les femmes, de Titiou Lecoq

Le quatrième livre que nous vous proposons de découvrir dans le Book Club est un essai de l’autrice Titiou Lecoq, publié en 2021 aux éditions L’Iconoclaste, puis réédité en 2023 dans une version enrichie aux éditions Proche, sous le titre Les Grandes Oubliées : Pourquoi l’Histoire a effacé les femmes.

Dans cet ouvrage, préfacé par l’historienne Michelle Perrot, Titiou Lecoq revisite l’histoire de France métropolitaine, du Paléolithique à nos jours, en adoptant une perspective nouvelle : celle du genre. Journaliste, essayiste, blogueuse et romancière, Lecoq s’appuie sur des recherches scientifiques et universitaires récentes pour proposer un éclairage inédit de nos représentations historiques, remettant en cause bien des certitudes. Contrairement à l’idée reçue, les femmes n’ont jamais été silencieuses, et elles ont contribué à faire l’Histoire autant que les hommes. Cependant, leurs voix et leurs actions ont été régulièrement et systématiquement effacées pour des raisons politiques et sociales.

Une histoire des femmes non linéaire

L’une des idées largement répandues est que l’histoire des femmes serait un cheminement linéaire « allant d’un état de servitude totale vers une libération complète, comme si la marche vers l’égalité était un processus naturel. » Or, l’analyse de l’autrice démontre le contraire. En étudiant attentivement les époques successives, elle montre que cette vision erronée découle des circonstances dans lesquelles l’Histoire a été écrite. À la fin du XIXe siècle, avec l’apparition de l’instruction obligatoire, commencent la rédaction et la diffusion des manuels d’histoire. Ces ouvrages, rédigés principalement par des hommes imprégnés des valeurs de leur époque, ont interprété les faits à travers le prisme de la société de la fin du XIXe et du XXe siècles, où la place des femmes était principalement restreinte au foyer.

Le mythe de la femme empêchée et le syndrome de l’exception

De cette perspective biaisée est né le mythe de la femme empêchée. Titiou Lecoq explique qu’à cette époque, la femme est perçue comme inférieure et fragile en raison de sa biologie, vouée à rester au foyer pour élever les enfants. Elle ne pourrait donc accomplir rien d’autre que ce que « la nature » aurait déterminé pour elle. Les femmes qui réalisent des exploits sont perçues comme des exceptions : Jeanne d’Arc pour ses faits militaires, Marie Curie pour ses découvertes scientifiques, ou Simone Veil pour son engagement politique en faveur du droit à l’avortement. Ces exceptions ne serviraient-elles pas à justifier l’idée que les femmes n’ont pas été mises de côté, mais qu’elles auraient simplement eu un rôle mineur ?

Les femmes dans l’Histoire

Pourtant, les découvertes et analyses récentes nous montrent une tout autre réalité. Par exemple, l’autrice revisite la Préhistoire et met en lumière des femmes chasseuses-cueilleuses au Paléolithique et guerrières au Néolithique, des rôles révélés par l’étude de tombeaux et de squelettes. Dans la Grèce antique, bien que les femmes soient exclues de la citoyenneté, des figures féminines influentes émergent. Au Moyen Âge, des reines comme Brunehaut et Frédégonde règnent sur des royaumes francs, le statut social pouvant primer sur le genre. Cependant, la loi salique interdisant le règne d’une femme clôt cette parenthèse. Plus tard, au XVIe siècle, des femmes artistes émergent, mais à la Révolution, alors même qu’elles se mobilisent aux côtés des hommes, elles n’obtiennent aucun droit. Comme le souligne Titiou Lecoq, « […] si notre culture s’est fondée sur la domination, ce n’est pas une erreur mais un choix. »

L’évolution linguistique comme outil de domination

L’évolution de la langue a aussi joué un rôle important dans l’invisibilisation des femmes. Lecoq montre que l’effacement de certains termes féminins, comme « autrice », ou encore la règle grammaticale établie au XVIIe siècle par l’Académie française selon laquelle « le masculin l’emporte sur le féminin », ont contribué à ancrer la supériorité masculine dans les mentalités. Des métiers comme « jongleresse », « bâtisseuse » ou « archière » ont tout simplement disparu du vocabulaire, rendant invisibles ces rôles féminins. Or, le langage façonne notre vision du monde.

Un livre accessible et éclairant

Ce livre rend accessibles des faits historiques étayés, fruits de recherches pointues, qui interrogent l’objectivité du récit national que nous apprenons à l’école, un récit qui, de façon quasi systématique, laisse de côté les femmes, ne retenant que quelques figures féminines rares. Titiou Lecoq nous exhorte à ne pas tomber dans le piège d’un discours prétendument neutre qui, en réalité, est biaisé. Pour elle, rien n’est acquis sur le chemin de l’égalité, et pour progresser, il faut regarder l’Histoire telle qu’elle s’est déroulée et accepter de réhabiliter ces voix effacées.

Nous vous souhaitons une bonne lecture !

Par Nathalie Crouzet