Qui a organisé le Secret Santa en décembre, la galette des rois en janvier, et la cagnotte pour le départ à la retraite de Marcel, écouté Michel qui a des soucis à la maison ? Vous connaissez la réponse.
Ces mêmes personnes ont-elles reçu une reconnaissance particulière en fin d’année pour tout ce travail invisible mais crucial au maintien des liens humains en entreprise ? Là encore, vous avez la réponse.

La notion de care en entreprise, souvent associée aux tâches de soutien émotionnel et relationnel, reste l’un des piliers silencieux du bon fonctionnement des équipes. Pourtant, ces responsabilités, majoritairement assumées par des femmes, demeurent invisibles, non valorisées et rarement reconnues.
Selon Carol Gilligan, psychologue américaine, le care est défini comme une éthique relationnelle fondée sur l’attention, l’empathie et la responsabilité envers autrui. Dans son ouvrage « Une voix différente » (1982), l’autrice propose une perspective alternative à l’éthique traditionnelle centrée sur la justice et les principes universels. Elle met en avant l’éthique du care comme une approche morale qui valorise les relations humaines, le contexte et la réponse aux besoins spécifiques des individus.
Le travail invisible du care : un rôle essentiel non reconnu
Il y a quelques années, l’émergence des happiness managers semblait promettre une nouvelle ère de prise en charge du bien-être en entreprise. À coups de baby-foot, d’événements conviviaux et de séances de team-building, ces rôles avaient pour mission de remotiver les troupes. Cependant, cet engouement s’est rapidement essoufflé. Ces postes, souvent perçus comme des gadgets, ont disparu*, mais les besoins profonds qu’ils tentaient de satisfaire, eux, sont toujours présents.
Aujourd’hui, ces responsabilités se retrouvent éparpillées au sein des équipes. Sans titre officiel, sans budget alloué, et sans reconnaissance formelle, elles sont prises en charge par des forces vives, souvent féminines. Ce travail, qui reflète des normes sociales genrées, est perçu comme « naturel » et donc rarement valorisé.
Dans leur livre, « The No Club » (Simon and Schuster, Mai 2022), les autrices Linda Babcock, Brenda Peyser, Lise Vesterlund et Laurie Weingart évoquent l’expression de Non promotable tasks ou tâches non promouvables en français pour décrire toutes les actions invisibles réalisées en majorité par des femmes dont l’entreprise bénéficie mais pour lesquelles les femmes ne sont pas rémunérées.
Les multiples facettes du care en entreprise
En entreprise, le care se manifeste de multiples façons, souvent discrètes mais essentielles au bon fonctionnement des équipes. D’abord, il prend la forme d’une gestion invisible de l’ambiance de travail. Cela inclut l’organisation d’événements sociaux comme les anniversaires, les pots de départ ou encore les célébrations collectives. Ces moments conviviaux, bien qu’informels, sont fondamentaux pour renforcer les liens humains et maintenir une atmosphère agréable au sein des équipes. Les collaboratrices qui s’en chargent s’assurent souvent, par de petits gestes et attentions, que l’environnement de travail reste inclusif et harmonieux.
Le care s’exprime également par un encadrement informel. Cela peut se traduire par l’aide spontanée apportée aux nouvelles recrues, que ce soit pour leur intégration ou pour répondre à leurs questions. Les employées qui incarnent cette forme de soutien se rendent également disponibles pour épauler leurs collègues en difficulté, que ce soit pour résoudre des obstacles professionnels ou pour leur apporter un réconfort moral.
Par ailleurs, ces responsabilités incluent une multitude de tâches organisationnelles souvent invisibles. Des collaboratrices veillent à la logistique quotidienne, en organisant les réunions, en s’assurant que les espaces communs restent accueillants ou encore en coordonnant des projets d’équipe ou des initiatives collectives, comme celles liées à la responsabilité sociale ou environnementale.
Au-delà de ces actions concrètes, le care touche également au bien-être organisationnel. Les individus qui en prennent la charge travaillent, parfois de manière implicite, à maintenir un équilibre relationnel, s’assurant que chacun se sente inclus et respecté. Ils se retrouvent souvent en première ligne pour apaiser les tensions émotionnelles, gérer les situations stressantes et désamorcer les conflits, jouant ainsi un rôle essentiel dans la cohésion de l’entreprise.
Ces contributions ne s’arrêtent pas à l’échelle des relations entre pairs. Dans les relations hiérarchiques, le care prend la forme d’un travail émotionnel subtil mais indispensable. Cela inclut la médiation entre les employés et la direction, ainsi que l’anticipation des besoins des supérieurs, comme la préparation proactive de documents ou l’organisation de réunions.
Enfin, il y a un soutien émotionnel et relationnel constant, souvent invisible : être disponible pour écouter les préoccupations des collègues, les motiver ou reconnaître leurs efforts, et intervenir comme médiateur dans les tensions internes.
Faire évoluer les culture d’entreprise pour repenser la reconnaissance du care dans l’entreprise
Le care n’est pas un supplément d’âme, c’est le ciment qui relie les équipes et garantit la pérennité des organisations. Faire évoluer les mentalités et les pratiques pour lui donner la place qu’il mérite est un enjeu non seulement éthique, mais également économique. Les entreprises ont tout à gagner à intégrer cette dimension humaine au cœur de leurs stratégies. Pour agir concrètement, les entreprises peuvent par exemple :
- Formaliser l’évaluation des contributions au bien-être collectif : intégrer ces responsabilités dans les entretiens annuels et les processus d’évaluation.
- Valoriser ces tâches dans les descriptions de poste : inclure des critères explicites sur le soutien émotionnel et organisationnel.
- Former à une répartition équitable : sensibiliser les équipes pour éviter que ces responsabilités ne reposent toujours sur les mêmes personnes.
Reconnaître le care comme une compétence stratégique, et non comme un « extra » ou une tâche féminisée, est essentiel pour bâtir des cultures d’entreprise plus justes et plus humaines.
*Recherches effectuées à partir des mots clés « happiness manager et Chief hapiness manager » sur plusieurs sites d’emplois dont hellowork et l’Apec. Seule offre trouvée portant ce nom décrit un poste de réceptionniste/ agent.e d’accueil
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