Chronique d’une inclusion en trompe-l’œil

Cet été, nous vous proposons une mini-série de portraits qui promeuvent ou sabotent malgré eux l’égalité de genre en entreprise. Ils sont inspirés de personnages croisés au fil de nos carrières et que, soyons honnêtes, vous reconnaîtrez sûrement dans votre entourage professionnel.

L’objectif est double : apporter une touche d’humour, parce que rire de soi et des autres peut parfois désamorcer bien des tensions, et susciter la réflexion, car les dynamiques d’inclusion  ou d’exclusion se jouent souvent dans les détails de nos comportements.

Muriel a gravi les échelons à la force du poignet. Très tôt, elle s’est promis que sa trajectoire serait différente de celle de sa mère ou de sa grand-mère, tenues à l’écart des postes à responsabilité. Elle voulait prouver qu’elle méritait sa place, sans laisser aucune prise au doute.

Elle a fait ses armes dans des stages exigeants, dans des institutions où l’on apprend plus à encaisser qu’à s’exprimer. Elle a absorbé les humiliations, digéré les couleuvres, et sacrifié bien des pans de sa vie personnelle pour être « toujours là » pour ses supérieurs. Le soir, les week-ends, les vacances. Elle s’est rendue indispensable. Et ça a fini par payer : elle a décroché, non sans douleur, une place au sacro-saint CODIR.

Et c’est là que le vent tourne.

Les politiques d’égalité de genre s’intensifient. Les portes du CODIR s’ouvrent enfin à d’autres femmes, parfois plus jeunes, parfois moins « sacrifiées », et surtout sans avoir eu à traverser autant d’épreuves. Pour Muriel, c’est un coup dur. Elle ne remet pas en cause les avancées, mais quelque chose résiste. Une amertume sourde. Comme un sentiment d’injustice inversée.

Pendant longtemps, elle a été la seule femme autour de la table des « boss ». Elle était unique, crainte, respectée. Et, au fond, elle n’avait pas forcément envie de partager cette position. Alors, elle se montrait plus exigeante avec les autres femmes, recalant systématiquement les candidatures au CODIR grâce à son droit de veto. Un paradoxe assumé : c’est pourtant elle qui prenait publiquement la parole pour défendre la présence de plus de femmes dans l’entreprise.

Son directeur général la propulse alors en figure de proue de l’inclusion dans l’entreprise. Comme toujours, Muriel s’investit avec rigueur. Elle ne fait jamais les choses à moitié. Brillante, méticuleuse, respectée, elle incarne la compétence. Si elle a adopté les codes masculins et en a fait ses armes, elle sait aussi mobiliser sa part de féminité pour faire passer ses messages. Mais cet équilibre est fragile. Par moments, elle ne sait plus très bien sur quel pied danser. Selon l’interlocuteur, elle sort les talons aiguilles et le rouge à lèvres, tout en ayant parfois l’impression de se trahir.
Malgré ce tiraillement, elle prend la tête du réseau féminin de l’entreprise. Elle devient un modèle, une figure d’inspiration pour une nouvelle génération.

Et puis, petit à petit, le décalage se fait sentir.

Ses phrases, pleines de bonne volonté, résonnent parfois étrangement aux oreilles des jeunes femmes :

« Les filles, c’est à vous de vous imposer. Travaillez votre répartie. »
« Il faut être forte, ne rien laisser paraître. »
« On ne vous donnera rien, il faut le prendre. »

Sans le vouloir, Muriel perpétue certains codes d’un système qu’elle a elle-même combattu. Elle croit aider, mais elle enjoint à « s’adapter », à « jouer le jeu », au lieu de remettre en question les règles. Pour elle, la réussite passe encore par la conformité à des standards qu’elle n’a jamais eu le luxe de contester.

Ce portrait n’est pas un reproche. C’est un hommage à toutes les Muriel, pionnières d’un monde en mutation. Et une invitation à faire un pas de côté pour réfléchir ensemble :

• Comment soutenir sans reproduire ?
• Comment transmettre sans enfermer ?
• Comment réussir… autrement ?

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Illustration : Camille Gigleux
Texte : Amina Ladjici

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