Chronique d’une inclusion en trompe-l’œil
Cet été, nous vous proposons une mini-série de portraits qui promeuvent ou sabotent malgré eux l’égalité de genre en entreprise. Ils sont inspirés de personnages croisés au fil de nos carrières et que, soyons honnêtes, vous reconnaîtrez sûrement dans votre entourage professionnel.
L’objectif est double : apporter une touche d’humour, parce que rire de soi et des autres peut parfois désamorcer bien des tensions, et susciter la réflexion, car les dynamiques d’inclusion ou d’exclusion se jouent souvent dans les détails de nos comportements.

Lucas, c’est le gars pour qui tout semble toujours facile. Le genre à qui la vie déroule le tapis rouge, que ce soit au bureau ou au barbecue du dimanche. Il respire la réussite… du moins, sa version de la réussite, celle qu’il affiche fièrement et que ses adeptes s’empressent d’applaudir.
Après avoir fait ses premières armes dans une grande entreprise dès la sortie de son école d’ingénieur, Lucas a changé de cap : direction une boîte à taille humaine, histoire de grimper les échelons à la vitesse d’un ascenseur express. Et hop, le voilà catapulté manager dès son arrivée. Cinq ans plus tard, Lucas trône à la tête d’une équipe de 30 personnes. Une équipe qu’il a lui-même façonnée en allant piocher dans son ancien vivier pro ou dans l’annuaire de son école. Résultat : un petit fan club bien homogène, à son image.
Toujours souriant, avenant, stratège… voire fourbe, selon la longueur du couteau qu’il a planté dans le dos de ses collègues, Lucas sait flairer les bons sujets. Alors quand la RSE est devenue à la mode, il n’a pas résisté. Au contraire. Il a vu l’opportunité, et il a foncé. Les blagues misogynes ? Rangées bien au fond d’un tiroir. Fermé à double tour. (Enfin… sauf à 3h du matin, en afterwork très privé, parce qu’on ne va quand même pas trop se priver.)
Lucas veut être un exemple.
Dedans, dehors, sur scène, dans les coulisses, et surtout sur LinkedIn. Il a compris qu’aujourd’hui, pour séduire clients et candidats, mieux vaut afficher un engagement béton; quitte à l’inventer un peu. Sur les réseaux, il s’exprime sur tout : égalité des genres, transition écologique, inclusion, éthique… À croire qu’il dort sur fond vert, prêt pour la prochaine photo corporate.
Mais dans les faits, le comité de direction auquel il appartient compte une seule femme. Son équipe ? 70 % d’hommes, et 100 % à des postes à responsabilité. Et pourtant, « il essaie », comme il dit. Il ponctue ses discours de petites phrases toutes faites, censées inspirer les femmes à gravir les échelons, mais ça sonne faux. Un peu comme un discours de fin d’année mal relu.
Quand il se confie aux RH
Ou plutôt quand il s’en plaint, c’est pour dire qu’il fait tout, vraiment tout, pour faire évoluer « les nénettes », mais qu’elles ont cette étrange manie de
« Faire des gosses pile au mauvais moment. »
Les RH compatissent. L’encouragent à « continuer son combat ». Et Lucas repart, convaincu d’être un héros incompris.
Mais Lucas n’est pas seul. Des Lucas, il y en a plein. Des illusionnistes de l’inclusion, pleins de bonne volonté… et parfois un peu trop pleins d’eux-mêmes. L’idée ici n’est pas de les clouer au pilori, mais de leur tendre un miroir. Pour les inviter à aller plus loin que les hashtags, à se remettre en question, à vraiment écouter. Parce que c’est seulement là qu’ils pourront avoir un véritable impact.
Illustration : Camille Gigleux
Texte : Amina Ladjici
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