Chronique d’une inclusion en trompe-l’œil
Cet été, nous vous proposons une mini-série de portraits qui promeuvent ou sabotent malgré eux l’égalité de genre en entreprise. Ils sont inspirés de personnages croisés au fil de nos carrières et que, soyons honnêtes, vous reconnaîtrez sûrement dans votre entourage professionnel.
L’objectif est double : apporter une touche d’humour, parce que rire de soi et des autres peut parfois désamorcer bien des tensions, et susciter la réflexion, car les dynamiques d’inclusion ou d’exclusion se jouent souvent dans les détails de nos comportements.

Vincent, 30 ans, directeur commercial.
Une ascension fulgurante, presque improbable, tant son parcours scolaire ressemblait plus à un jeu de l’oie avec retours à la case départ qu’à une ligne droite vers la réussite. Collège, lycée, fac : il a redoublé, échoué, esquivé. Les amphis ? Très peu pour lui. On le croisait surtout aux soirées étudiantes. Pour les examens, il avait deux stratégies bien rodées : tricher, ou improviser des baratins de dernière minute aux oraux de rattrapage.
Et il faut l’avouer : pour baratiner, Vincent a un talent rare.
Une vraie flûte enchantée. Ce don, il l’a transformé en arme fatale une fois entré dans le monde de l’entreprise. Pas besogneux pour deux sous, mais charismatique, charmeur, il a vite trouvé sa place dans le costume du commercial.
Derrière cette aisance, pourtant, subsiste une cicatrice discrète : Vincent a toujours souffert de son manque de réussite à l’école. Derrière ses blagues sur les “premiers de la classe”, il cache une vieille blessure, celle d’avoir grandi en pensant qu’il n’était “pas assez intelligent”. Une rancune muette qui, parfois, le hante encore.
L’art de faire bosser les autres
Vincent n’est pas du genre à transpirer sur un dossier. Sa botte secrète ? Repérer les cerveaux ; les “têtes d’ampoule” comme il dit ; et les faire cravacher pour lui. Comme autrefois, quand il se reposait sur les premiers de la classe pour sauver ses partiels.
Son autorité, il l’impose par un cocktail de séduction et d’autoritarisme qui étonne, surtout vu son jeune âge. Son petit plaisir ? Manager des diplômés de grandes écoles. Celles qu’il n’a jamais pu intégrer par manque d’effort. Les voir trimer pour ses objectifs lui donne un sentiment de revanche savoureuse, presque pervers.
Le roi de la vie mondaine
Face aux clients, il déploie tout son arsenal. Ses cernes en témoignent : ses nuits sont plus courtes que ses dîners d’affaires. Il connaît les meilleures tables, les clubs les plus branchés, et sait flatter ses interlocuteurs en leur offrant un parfum de jet-set. Résultat : contrats signés au petit matin, champagne encore sur la langue.
Son quotidien ? Réveil jamais avant 10h, déjeuner-client à midi, deux ou trois calls l’après-midi pour “coordonner les équipes”, et départ du bureau vers 19h30… direction l’apéro, prélude à une tournée des bars qui s’achève souvent au lever du soleil.
L’inclusion ? Très peu pour lui
Dans ce décor, l’égalité de genre n’a évidemment aucune place. Les femmes ? Elles désertent rapidement son équipe, asphyxiées par un management toxique. À l’extérieur, elles sont accessoires, trophées, jolies silhouettes au bras d’un homme qui aime qu’on le regarde.
Quand la direction parle de diversité et d’inclusion, Vincent ne prend même pas la peine de lever les yeux de son téléphone. “Pas mon problème”, lâche-t-il entre deux mails. Lui, il ramène de l’argent. Et tant que la courbe des ventes grimpe, on ferme les yeux sur le reste. Le turnover catastrophique ? Ignoré. Les dizaines de plaintes RH pour harcèlement moral ? Classées sans suite.
Le vrai tour de passe-passe
Le plus grand talent de Vincent, c’est d’avoir convaincu tout le monde, ou presque , qu’il est indispensable. Ses résultats financiers font écran de fumée à tout le reste. Roi de l’esbrouffe, illusionniste de haut vol, il avance, sûr de lui, persuadé que la fête ne s’arrêtera jamais.
Mais derrière les paillettes et les gros contrats, combien de dégâts invisibles ? Combien de talents gâchés, de carrières brisées, de femmes découragées ?
Vincent, c’est un rappel grinçant : tant qu’on confondra performance avec apparence, l’inclusion restera un vœu pieux.
Illustration : Camille Gigleux
Texte : Amina Ladjici
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