Chronique d’une inclusion en trompe-l’œil
Cet été, nous vous proposons une mini-série de portraits qui promeuvent ou sabotent malgré eux l’égalité de genre en entreprise. Ils sont inspirés de personnages croisés au fil de nos carrières et que, soyons honnêtes, vous reconnaîtrez sûrement dans votre entourage professionnel.
L’objectif est double : apporter une touche d’humour, parce que rire de soi et des autres peut parfois désamorcer bien des tensions, et susciter la réflexion, car les dynamiques d’inclusion ou d’exclusion se jouent souvent dans les détails de nos comportements.

Corentin, 28 ans, chef de projet junior dans une multinationale testostéronée.
Corentin a tout du bon élève corporate : souriant, travailleur, habillé sobre mais stylé, discret mais apprécié. Un collègue “safe”, comme disent certains. Dans un open space saturé de virilité ostentatoire, il incarne une respiration.
Sous ses airs de jeune premier, il nourrit pourtant une double vie intérieure : gay assumé… mais uniquement dans la sphère privée. Au bureau, il se fond dans le décor, esquivant les questions personnelles, modulant son discours pour ne pas trop se dévoiler.
Il suit de près les initiatives LGBTQIA+ de l’entreprise, apprécie les initiatives du réseau interne, félicite en privé celles et ceux qui osent prendre la parole. Mais quand il s’agit de s’afficher en première ligne, son sourire se crispe. “Je soutiens à fond, mais ce n’est pas le bon moment pour moi”, dit-il souvent.
La peur derrière l’approbation
Corentin est sincère : il aimerait faire bouger les lignes. Il rêve de voir son entreprise évoluer, devenir plus inclusive, plus ouverte. Mais il est rattrapé par une peur tenace : celle de griller sa carrière en s’exposant trop tôt.
Alors il se contente du rôle de spectateur engagé. Un hochement de tête approbateur en réunion, un petit message Slack en privé pour féliciter une collègue courageuse, un cœur rouge sous un post engagé… Tout sauf prendre le micro. Ses encouragements sont comme des murmures dans les couloirs : chaleureux, mais inaudibles.
Entre deux mondes
Dans ce grand écart permanent, Corentin vit une tension silencieuse. Dans les soirées avec ses amis, il est libre, flamboyant, drôle, lui-même. Au bureau, il se retient, choisit ses mots, redoute le faux pas.
Ce tiraillement nourrit son ambivalence : il sait l’importance des modèles visibles, mais il redoute de l’être lui-même. Il voudrait montrer que la réussite n’a pas de norme unique, mais il choisit la prudence, persuadé qu’il lui faut d’abord “faire ses preuves” avant d’oser.
L’illusion d’un allié
Le plus grand tour de passe-passe de Corentin, c’est de donner l’impression qu’il est déjà un acteur du changement. Mais pour l’instant, il n’en est que le figurant discret. Un allié fantôme, présent dans les coulisses, jamais sur scène.
Et c’est là que le bât blesse : à trop attendre “le bon moment”, il contribue malgré lui à maintenir le silence qu’il voudrait briser.
Corentin, c’est un rappel grinçant : l’inclusion ne progresse pas avec des likes ou des hochements de tête. Elle avance quand certains acceptent de prendre un risque, de sortir du rang, d’exposer leur singularité. Tant que les alliés resteront invisibles, le changement restera une promesse fragile.
Illustration : Camille Gigleux
Texte : Amina Ladjici
Pour interagir avec nous, rejoignez la discussion sur notre page Linkedin
