Dans notre article dédié à l’analyse du phénomène de l’opting out [1]des femmes en entreprise, nous évoquions l’entrepreneuriat comme l’une des portes de sortie des carrières traditionnelles. La question que nous nous posons dans cet article est de savoir si cette solution représente vraiment une avancée vers l’égalité professionnelle entre les genres.

Le développement de l’entrepreneuriat féminin s’inscrit dans une longue histoire de lutte pour l’émancipation économique et sociale des femmes. Depuis les années 2000[2], on assiste à une forte croissance du nombre de femmes créant leur propre entreprise, souvent encouragées par des initiatives gouvernementales, des réseaux de soutien, des mouvements féministes ou par l’envie de quitter des entreprises qui ne sont plus en phase avec leurs attentes.
L’entrepreneuriat comme voie de libération
Pour plusieurs raisons, l’entrepreneuriat des femmes apparaît comme une vraie libération :
- Autonomie financière : pour de nombreuses femmes, devenir entrepreneure signifie acquérir une indépendance économique, un contrôle sur leur carrière, et la possibilité de s’exprimer à travers un projet qui leur tient à cœur.
- Flexibilité du travail : l’entrepreneuriat est souvent vu comme une manière de concilier vie professionnelle et vie personnelle, en offrant une flexibilité que peu d’emplois salariés proposent. Il s’agit également de ne plus subir des pratiques d’entreprise comme le présentéisme, la pression inutile ou le management toxique.
- Incarnation d’un rôle modèle : les femmes entrepreneures peuvent également jouer un rôle important en tant que modèles pour les générations futures, montrant que la réussite entrepreneuriale est possible pour les femmes.
Les ambiguïtés et les nouvelles formes d’aliénation
Souvent idéalisé par des figures incarnant la réussite dans les médias ou sur les réseaux sociaux, l’entrepreneuriat n’est pour autant pas synonyme d’égalité.
- Pressions et burnout : pour les femmes vivant dans un couple où la charge domestique n’est pas partagée de façon égalitaire ou pour les mères célibataires ne bénéficiant pas d’aide de l’entourage, le fait de devenir entrepreneure peut accentuer les phénomènes de burnout liés à la pression et à la charge de travail. En effet, la double charge que subissent les femmes dans le salariat ne disparaît pas avec l’entrepreneuriat.
- Inégalités persistantes : malgré des avancées, les femmes entrepreneures font toujours face à des inégalités, notamment en termes d’accès au financement, aux réseaux professionnels, et aux ressources. L’entrepreneuriat ne garantit pas une échappatoire aux discriminations de genre présentes dans le monde du travail. Au contraire, les femmes entrepreneures se voient prescrire davantage de formations pour leur apprendre à avoir confiance en elles, à tel point que des entreprises se sont spécialisées dans l’accompagnement exclusif des femmes.
- L’illusion du choix : l’encouragement à l’entrepreneuriat féminin peut être une manière de masquer les manquements des politiques publiques en matière d’égalité des sexes et d’accès à des emplois de qualité. Plutôt qu’une véritable libération, l’entrepreneuriat peut parfois représenter un déplacement des problèmes plutôt qu’une solution.
Le mythe de la « Femme Forte »
- Individualisation de la réussite : l’image de la femme entrepreneure « qui réussit contre vents et marées » peut renforcer l’idée que la réussite individuelle est la seule voie, occultant ainsi les structures sociales et économiques qui créent des inégalités. Cette image peut également exercer une pression supplémentaire sur les femmes, en les incitant à se conformer à des standards irréalistes.
- Responsabilité individuelle vs responsabilité collective : cette vision de la réussite individuelle détourne l’attention des nécessaires réformes structurelles et collectives pour une réelle égalité des chances dans le monde professionnel et au-delà.
Si la voie de l’entrepreneuriat permet certes à de nombreuses femmes de s’affirmer et de trouver leur place dans la sphère professionnelle, elle ne doit pas masquer les défis et les inégalités persistantes auxquels elles continuent de faire face, ni oublier les femmes salariées subissant la lenteur du progrès social vers l’égalité.
Il nous paraît essentiel de rappeler l’importance du soutien structurel, autrement dit de plaider pour un meilleur soutien des femmes entrepreneures, non seulement à travers des initiatives individuelles, mais aussi via des politiques publiques qui favorisent un véritable accès à l’entrepreneuriat pour toutes les femmes, indépendamment de leur classe sociale, origine ethnique ou autres facteurs.
[1] En 2022, environ 37 % des créatrices d’entreprise en France étaient des femmes, Source : BPI France
[2] https://lalternativemedia.com/2024/07/07/pourquoi-finissent-elles-toujours-par-partir-retour-sur-un-phenomene-incompris-lopting-out-des-femmes-en-entreprise/
